C’est théoriquement une affaire d’apparence, d’être au monde. Mais la mode, ou du moins son image, s’est tournée vers l’intériorité, l’émotion et les sentiments. Quelques pistes pour cette volte-face.
Si la mode est devenue une affaire d’image, à quelques hashtags près, la presse quotidienne cultive un espace où les mots construisent un récit et analysent les images que l’industrie produit en quantité. Journaliste au ‘Monde’, Carine Bizet est l’une des rares plumes de mode à couvrir les défilés – homme et femme – et à en proposer une lecture sans concession.
Plus un texte sur la mode n’est aujourd’hui produit sans les qualificatifs éco-responsable, éthique, bio, recyclé, « sustainable ». Et si la mode n’était pas qu’affaire de raison et de morale ? Quid du désir de mode ? Réponse à visage couvert d’une amatrice de mode face aux enjeux esthétiques et climatiques.
If fashion has become a matter of image, give or take a few hashtags, the daily press cultivates a space where words build a story, and analyse the images that the industry is producing in such quantity. Journalist for ‘Le Monde’, Carine Bizet is one of the few fashion journalists who covers the shows – for men and women – to offer an uncompromising interpretation.
Dans « La Société autophage », Anselm Jappe défendait l’idée d’une société engagée dans un vaste processus d’autodestruction, notamment environnementale. Souvent vilipendée, parfois à tort, la mode en semble tout de même l’incarnation.
What is the grotesque called in fashionable state? A subversive body, a poem of protest deconstructing the violence of norms that, through our catwalks, speaks to the outrage toward our current system.
Robin Schulié a la mode pour passion. Directeur des achats pour Maria Luisa de 2002 à 2015 et également en charge de la collection en propre du célèbre multimarque, il a toujours promu des esthétiques exigeantes. Il embrasse désormais une carrière de merchandiser sur les collections femme et homme d’Acne.
Longtemps reléguées en périphérie sinon en province, les archives des marques de luxe retrouvent une certaine centralité, tant pour la création que la communication. Revue de détail à visage couvert.
There are countless qualifiers today to which no meaning is attached: eco-responsible, ethical, organic, recycled, sustainable... What if fashion wasn’t just a matter of reason and morality? What is changing in our desire for fashion today? Interview with an anonymous fashion lover facing the aesthetic and ecological stakes.
« Le film paraît plus cohérent, mais cela tient peut-être au fait qu’on a déjà parcouru une fois ce labyrinthe. En en sortant, on reste peut-être plus calme, mais toujours aussi ébahi de ce mélange d’invention débordante et de puérilité. »
Le skate est une pratique autiste, d'un sport lui-même autiste.
Quid de la beauté en 2019 et au-delà ? Loin du bien-être usuel, le magazine papier ‘Dazed Beauty’ livre une fantasmagorie en numérique, où les miroirs enchanteurs des réseaux mutent pour des horizons quelque peu dystopiques – où le beau bizarre baudelairien flirte avec les lubies du ‘biohacking’, et le tube de gloss avec une aile de dragon.
‘The film seems more coherent, but it may be due to the fact that we have already gone through this labyrinth before. On leaving, we may be calmer, but still astonished by this mixture of abundant invention and childishness.’ 1
De quoi le grotesque est-il le nom en pays mode ? D’un corps subversif, d’une poésie contestataire, qui déconstruisent la violence des normes et de nos parades, et disent peut-être aujourd’hui les outrances d’un système.
La florissante maison anglaise Burberry, qui a entretemps laissé le « s » au vestiaire et la calèche au square, trace une autoroute vers l’avant, avec une accélération perceptible et une appropriation du nouveau. La marque apparaît gravée comme l’éternité de la famille royale : inaltérable, imputrescible, et se saisissant cependant des nouveaux médias, des systèmes et des langages éditoriaux, avec plus ou moins de virtuosité.
En convoquant la figure de l’homme indifférencié, les collections masculines du Printemps-Été 2019 esquissent de nouvelles formes de masculinité. Réaffirmée ou reniée, quel devenir pour la notion de virilité ?
By summoning the figure of undifferentiated man, the Spring-Summer 2019 men’s collections draft new forms of masculinity. Reaffirmed or abandoned, what will become of virility?
It’s theoretically a matter of appearance, a way of being in the world. But fashion, or at least the fashion image, has turned towards interiority, emotion and feelings. Here are a few clues in order to understand this change in direction.
"Trend" has become an adjective and has gradually lost its meaning. It is, however, a concept inherent to fashion, to be tamed in ten points.
La mode n’inventerait plus rien. Elle ne ferait que recycler, ressusciter, remixer. Elle ne serait plus capable que de farfouiller mélancoliquement – ou hystériquement – dans ses propres archives, dans les greniers de sa gloire et de son inventivité passée…
Fashion seems to no longer invent anything, it only recycles, resurrects, remixes. Apparently it’s only capable of wandering sorrowfully – or hysterically – amongst its own archives, in the attics of its glory and its former creativity. It’s even content to simply recuperate, as they are, forms that it invented ten or twenty years ago at best…
« Octave revient de loin. Pour lui la vie sans cocaïne est presque une découverte. C’est un peu comme la vie sans télé pour certains. Tout est plus lent et l’on s’ennuie vite. Il se dit que c’est peut-être ça le secret qui sauverait le monde : accepter de s’ennuyer. Pas facile. »1
« la plupart des marques continuent à penser qu’elles sont au-dessus de leurs clientes, qu’elles en savent plus qu’elles »
Aujourd’hui entrepreneur, Michel Campan Paoletti a dirigé le digital de Lancôme, le marketing de Dior et a imaginé l’e-commerce d’Hermès en 2000. Toujours entre Paris et Hong Kong, il a monté plusieurs start-up et compare le luxe à une religion et explique pourquoi la Chine a un temps d’avance.
Durable, éco-responsable, éthique… le design a retrouvé une raison d’être en verdissant ses process et ses objets – bien souvent surabondants. Quid de la mode ? Si les préoccupations écologiques sont présentes, elles entrent en conflit avec le désir de mode, qui se laisse difficilement dicter sa loi.
Les femmes billboards sont des utopies de proximité. Elles s’autoproclament porte-manteaux rentables et proposent leur image au plus offrant pour la livrer en pâture à un public en quête de style et de sens. Ce business est en réalité le glissement naturel des désirs…
« On a fait comme ça parce qu’on n’avait pas d’argent. » « Parce qu’on n’avait pas le choix. » Défiler dans des lieux miteux, pratiquer le casting de rue (ou de proches), récupérer, recycler, montrer des vêtements inachevés…
Instagram, avec ses Instagirls et ses Instaboys, aurait-il avalé tout cru le système de la mode ? Agnès Rocamora, sociologue des nouveaux médias, scrute la mutation numérique. Comment la mode se fabrique-t-elle et se consomme-t-elle sur le runway en 2D des smartphones ? Petites nouvelles du front.
Les cursus mode se sont multipliés, attirant toujours plus d’étudiants bien que les formations soient majoritairement payantes. Outre la fascination que constitue le monde – merveilleux – de la mode, une autre raison peut être la professionnalisation qu’offrent ces formations. Mais est-ce un bon calcul ?
Tout autant que des vêtements ou accessoires, ce sont des rendez-vous que l’industrie du luxe propose, applications digitales aidant. Le luxe n’a jamais semblé aussi proche, bien qu’il soit aujourd’hui largement dématérialisé. Petit voyage à visage couvert au pays du divertissement et du luxe.
L’opposition entre mode et vêtements, sous-entendu entre habits futiles et « vrais vêtements », nourrit aujourd’hui le travail et le discours de certains designers, se donnant pour projet de revenir à un vêtement « réaliste ». Mais de quoi est-il question quand on parle de vêtement « réel » ou de « vrai » habit ?
À Paris, entre in et off, le calendrier des collections de prêt-à-porter enchaîne pas moins de cent défilés sur neuf jours. Mais à quoi bon s’échiner à lancer des filles piétiner de long en large sur des podiums ?
Impossible de mettre le nez dehors sans les voir. Utopique de circuler sans les rencontrer déambuler, hagards, le téléphone collé à l’oreille, dessinant des cercles irréguliers ; le piéton reste une curiosité dont on pourrait se passer.
À deux ou trois roues, on en croise des dizaines tous les jours et ils semblent avoir été élus « moyen de locomotion le plus pratique/rapide/économique ». Tout le monde aime le scooter. Mais pas nous.
Paris est une fête. La capitale de la mode. Et la mode un métier on ne peut plus social. Pour communiquer, générer du rêve et asseoir leur puissance, les griffes développent moult événements. Revue de détail de ces manifestations qui relèvent de l’obligation professionnelle autant que de la partie de plaisir.
Le printemps parisien dévoile cette année un nombre impressionnant d’expositions de mode. En ses chapelles habituelles, mais aussi en d’autres lieux moins familiers des chiffons, de la Cité de l’histoire de l’immigration au Grand Palais.
Dans le Paris des années 1980 émergent un certain nombre de créateurs qui y mèneront carrière, dont certains venus du Japon. Leurs noms sont nouveaux et leurs vêtements sans compromis. Le succès est immédiat et influencera les décennies suivantes.
L’industrie du luxe a fait de l’exposition un système de communication très sophistiqué. De la marque comme valeur culturelle à la mise en avant de produits, les possibles sont multiples. Tour d’horizon des enjeux et stratégies avec un expert et à visage couvert.
Dans le Paris des années 1980, émergent un certain nombre de créateurs qui y mèneront carrière, dont certains venus du Japon. Leurs noms sont nouveaux et leurs vêtements sans compromis. Le succès est immédiat et influencera les décennies suivantes.
Certains mots sont usés jusqu’à la corde. Devenu adjectif, « tendance » s’est peu à peu vidé de son sens. C’est pourtant un concept inhérent à la mode, à apprivoiser en dix points.
Le mot "vintage" est tellement utilisé quotidiennement par l'industrie de la mode qu'on peine à croire qu'il se réfère au passé. Retour en dix points sur le mot et la chose.
The word "vintage" is so much used daily by the fashion industry that it is hard to believe that it refers to the past. Here is a ten-point look back at the word and the thing.
On n’emploie plus le terme « cool », ou alors au deuxième degré. Le concept a pourtant une histoire, qui se construit contre l’establishment. Retour en dix points sur une notion rebelle.
We no longer use the term "cool", or second degree. However, the concept has a history, which is built against the establishment. A ten-point review of a rebellious notion.
Les choses agaçantes sont omniprésentes. Alors pourquoi garder son flegme quand on peut également s’en énerver ?
Mise en scène commerciale, « preview » pour les journalistes, événement spectaculaire… le statut du défilé a évolué en un siècle et demi, mais tout semblait déjà présent aux balbutiements. Démonstration en dix points.
Commercial staging, "preview" for journalists, spectacular event... the status of the parade has evolved in a century and a half, but everything seemed to be already present in its infancy. Ten-point demonstration.
C’est l’empirisme qui a été le père du mannequin tel que nous le connaissons. Des modèles de boutique aux podiums de défilé en passant par la publicité, petite histoire en dix points.
Empiricism was the father of the mannequin as we know it. From shop models to catwalk catwalks to advertising, a little story in ten points.
Je crois résolument au pouvoir de la négation. Cela ne veut pas forcément dire qu'on revoit ses attentes à la baisse; au contraire, la négation exige une forte responsabilité.
Parfois, il nous arrive d’être contre quelque chose, viscéralement. De ne pas en supporter l’idée, la vue ou même l’évocation. Premier coup de sang : la valise à roulettes.
Nous sommes tous des Américains. Ou presque. Mr Lauren (Ralph) a gagné 16,14 millions de dollars cette année (salaire + bonus). Mais l’avenue de Clichy, en bas de chez moi, n’est pas Madison Avenue. Ici, les boutiques d’habilleurs de luxe s’appellent Sim.H, Sapiens, Rebecca Story, Jabi et Karilincoln
Que désire-t-on quand on a envie de mode ? De distinction sociale, de pouvoir érotique ? Peut-être d’air frais tout simplement, d’un ciel nouveau. Changer de vêtements comme on changerait de vie en rêve : voilà certainement l’un des fondements souterrains de ce que l’on peut appeler la pulsion de mode.
Si mode et image – celle qu’on renvoie, qu’on se fait de soi-même et aujourd’hui qu’on publie – sont étroitement liées, leur coïncidence n’a jamais été aussi puissante qu’avec l’avènement des réseaux sociaux. Plus surprenant : les historiens de la mode semblent y retrouver leurs petits.