C’est théoriquement une affaire d’apparence, d’être au monde. Mais la mode, ou du moins son image, s’est tournée vers l’intériorité, l’émotion et les sentiments. Quelques pistes pour cette volte-face.
Dans « La Société autophage », Anselm Jappe défendait l’idée d’une société engagée dans un vaste processus d’autodestruction, notamment environnementale. Souvent vilipendée, parfois à tort, la mode en semble tout de même l’incarnation.
What is the grotesque called in fashionable state? A subversive body, a poem of protest deconstructing the violence of norms that, through our catwalks, speaks to the outrage toward our current system.
« Le film paraît plus cohérent, mais cela tient peut-être au fait qu’on a déjà parcouru une fois ce labyrinthe. En en sortant, on reste peut-être plus calme, mais toujours aussi ébahi de ce mélange d’invention débordante et de puérilité. »
Le skate est une pratique autiste, d'un sport lui-même autiste.
Quid de la beauté en 2019 et au-delà ? Loin du bien-être usuel, le magazine papier ‘Dazed Beauty’ livre une fantasmagorie en numérique, où les miroirs enchanteurs des réseaux mutent pour des horizons quelque peu dystopiques – où le beau bizarre baudelairien flirte avec les lubies du ‘biohacking’, et le tube de gloss avec une aile de dragon.
‘The film seems more coherent, but it may be due to the fact that we have already gone through this labyrinth before. On leaving, we may be calmer, but still astonished by this mixture of abundant invention and childishness.’ 1
De quoi le grotesque est-il le nom en pays mode ? D’un corps subversif, d’une poésie contestataire, qui déconstruisent la violence des normes et de nos parades, et disent peut-être aujourd’hui les outrances d’un système.
La florissante maison anglaise Burberry, qui a entretemps laissé le « s » au vestiaire et la calèche au square, trace une autoroute vers l’avant, avec une accélération perceptible et une appropriation du nouveau. La marque apparaît gravée comme l’éternité de la famille royale : inaltérable, imputrescible, et se saisissant cependant des nouveaux médias, des systèmes et des langages éditoriaux, avec plus ou moins de virtuosité.
En convoquant la figure de l’homme indifférencié, les collections masculines du Printemps-Été 2019 esquissent de nouvelles formes de masculinité. Réaffirmée ou reniée, quel devenir pour la notion de virilité ?
By summoning the figure of undifferentiated man, the Spring-Summer 2019 men’s collections draft new forms of masculinity. Reaffirmed or abandoned, what will become of virility?
It’s theoretically a matter of appearance, a way of being in the world. But fashion, or at least the fashion image, has turned towards interiority, emotion and feelings. Here are a few clues in order to understand this change in direction.
"Trend" has become an adjective and has gradually lost its meaning. It is, however, a concept inherent to fashion, to be tamed in ten points.
La mode n’inventerait plus rien. Elle ne ferait que recycler, ressusciter, remixer. Elle ne serait plus capable que de farfouiller mélancoliquement – ou hystériquement – dans ses propres archives, dans les greniers de sa gloire et de son inventivité passée…
Quelques initiatives d’une galerie suisse – une récente participation à la Fiac et une autre, plus ancienne, à Art Basel Miami – sont prétexte à éclairer des affinités entre industries de l’art et de la mode.
Fashion seems to no longer invent anything, it only recycles, resurrects, remixes. Apparently it’s only capable of wandering sorrowfully – or hysterically – amongst its own archives, in the attics of its glory and its former creativity. It’s even content to simply recuperate, as they are, forms that it invented ten or twenty years ago at best…
Léo S est assis sur un tabouret, au bar du Bedford, et paraît confortable. Comme s’il était chez lui dans cette ancienne maison de plaisirs. Il habite en face dans la rue, l’hôtel des la Rochefoucauld, « construit en 1872 pour fêter la Commune, l’écrasement de la classe ouvrière »…
« Octave revient de loin. Pour lui la vie sans cocaïne est presque une découverte. C’est un peu comme la vie sans télé pour certains. Tout est plus lent et l’on s’ennuie vite. Il se dit que c’est peut-être ça le secret qui sauverait le monde : accepter de s’ennuyer. Pas facile. »1
Durable, éco-responsable, éthique… le design a retrouvé une raison d’être en verdissant ses process et ses objets – bien souvent surabondants. Quid de la mode ? Si les préoccupations écologiques sont présentes, elles entrent en conflit avec le désir de mode, qui se laisse difficilement dicter sa loi.
Les femmes billboards sont des utopies de proximité. Elles s’autoproclament porte-manteaux rentables et proposent leur image au plus offrant pour la livrer en pâture à un public en quête de style et de sens. Ce business est en réalité le glissement naturel des désirs…
« On a fait comme ça parce qu’on n’avait pas d’argent. » « Parce qu’on n’avait pas le choix. » Défiler dans des lieux miteux, pratiquer le casting de rue (ou de proches), récupérer, recycler, montrer des vêtements inachevés…
Entre engouement et tendance, réalité et fiction, les marques sont revenues au même niveau que l’être humain : elles sont en compétition avec les profils extraordinaires et le commun des mortels.
Les cursus mode se sont multipliés, attirant toujours plus d’étudiants bien que les formations soient majoritairement payantes. Outre la fascination que constitue le monde – merveilleux – de la mode, une autre raison peut être la professionnalisation qu’offrent ces formations. Mais est-ce un bon calcul ?
L’opposition entre mode et vêtements, sous-entendu entre habits futiles et « vrais vêtements », nourrit aujourd’hui le travail et le discours de certains designers, se donnant pour projet de revenir à un vêtement « réaliste ». Mais de quoi est-il question quand on parle de vêtement « réel » ou de « vrai » habit ?
À Paris, entre in et off, le calendrier des collections de prêt-à-porter enchaîne pas moins de cent défilés sur neuf jours. Mais à quoi bon s’échiner à lancer des filles piétiner de long en large sur des podiums ?
Politique et morale, la mode l’est forcément, qui épouse les mœurs et son temps. Avec l’avènement de la mode « pudique », il se pourrait qu’elle devienne aussi religieuse. En 1998, Terry Richardson signait pour le magazine i-D une série mode sur le thème du voile…
Morosité, crises et tristesse… la mode a absorbé des cycles d’émotions humaines. Arrivée au bord de la moue et des grimaces, elle fait revivre les cœurs vivaces d’une innocence révolue.
À quoi rêvent les stylistes ? Plateforme drôle et dandy réservée aux happy few, le compte Instagram de Camille Bidault Waddington cultive la curiosité et l’association libre.
Impossible de mettre le nez dehors sans les voir. Utopique de circuler sans les rencontrer déambuler, hagards, le téléphone collé à l’oreille, dessinant des cercles irréguliers ; le piéton reste une curiosité dont on pourrait se passer.
une griffe de mode ne se définit plus seulement à travers ses silhouettes, mais bien plus encore à travers les photos, films et autres supports visuels qui les capturent et les disséminent
À deux ou trois roues, on en croise des dizaines tous les jours et ils semblent avoir été élus « moyen de locomotion le plus pratique/rapide/économique ». Tout le monde aime le scooter. Mais pas nous.
À quoi ressemble le site d’un artiste, considéré par la critique comme le maître de l’appropriation ? À un labyrinthe d’images et à une mise en abîme des pratiques digitales contemporaines. Portrait du plasticien en vampire lubrique et bibliophile.
Paris est une fête. La capitale de la mode. Et la mode un métier on ne peut plus social. Pour communiquer, générer du rêve et asseoir leur puissance, les griffes développent moult événements. Revue de détail de ces manifestations qui relèvent de l’obligation professionnelle autant que de la partie de plaisir.
Printemps 1995, 2005 et 2015. Quand j’étais marié et que je vivais dans le 11e, il y a presque vingt ans maintenant, je croisais souvent Christian Lacroix et Alain G. dans la rue de Charonne. Sans jamais leur avoir adressé la parole, ils étaient déjà à mes yeux inspirants, souriants, élégants.
Le printemps parisien dévoile cette année un nombre impressionnant d’expositions de mode. En ses chapelles habituelles, mais aussi en d’autres lieux moins familiers des chiffons, de la Cité de l’histoire de l’immigration au Grand Palais.
On les remarque comme des ovnis dans le tunnel pub à l’entrée des magazines, sans produits, déroutants, à l’image d’un nom énigmatique. Retour sur les campagnes de Comme des Garçons et décryptage argumenté.
Dans le Paris des années 1980, émergent un certain nombre de créateurs qui y mèneront carrière, dont certains venus du Japon. Leurs noms sont nouveaux et leurs vêtements sans compromis. Le succès est immédiat et influencera les décennies suivantes.
C’est bien joli d’avoir plusieurs métiers, dont celui d’être hyper visible n’est pas le moindre. Donc une équipe et un site qui présente la vista, les collaborations et les pièces indispensables – car Anna Dello Russo est avant tout styliste.
Certains mots sont usés jusqu’à la corde. Devenu adjectif, « tendance » s’est peu à peu vidé de son sens. C’est pourtant un concept inhérent à la mode, à apprivoiser en dix points.
Le mot "vintage" est tellement utilisé quotidiennement par l'industrie de la mode qu'on peine à croire qu'il se réfère au passé. Retour en dix points sur le mot et la chose.
The word "vintage" is so much used daily by the fashion industry that it is hard to believe that it refers to the past. Here is a ten-point look back at the word and the thing.
On n’emploie plus le terme « cool », ou alors au deuxième degré. Le concept a pourtant une histoire, qui se construit contre l’establishment. Retour en dix points sur une notion rebelle.
We no longer use the term "cool", or second degree. However, the concept has a history, which is built against the establishment. A ten-point review of a rebellious notion.
Les choses agaçantes sont omniprésentes. Alors pourquoi garder son flegme quand on peut également s’en énerver ?
Les magazines de mode servent à montrer des vêtements, c’est entendu. Autrefois destinés à de riches privilégiés, ils ont accompagné la démocratisation du prêt-à-porter, jusqu’à la mode de la rue. Retour sur une histoire mouvementée.
Fashion magazines are used to show clothes, of course. Once intended for the privileged rich, they have accompanied the democratization of ready-to-wear, right up to street fashion. A look back at an eventful history.
Mise en scène commerciale, « preview » pour les journalistes, événement spectaculaire… le statut du défilé a évolué en un siècle et demi, mais tout semblait déjà présent aux balbutiements. Démonstration en dix points.
Commercial staging, "preview" for journalists, spectacular event... the status of the parade has evolved in a century and a half, but everything seemed to be already present in its infancy. Ten-point demonstration.
C’est l’empirisme qui a été le père du mannequin tel que nous le connaissons. Des modèles de boutique aux podiums de défilé en passant par la publicité, petite histoire en dix points.
Empiricism was the father of the mannequin as we know it. From shop models to catwalk catwalks to advertising, a little story in ten points.
Je crois résolument au pouvoir de la négation. Cela ne veut pas forcément dire qu'on revoit ses attentes à la baisse; au contraire, la négation exige une forte responsabilité.
Parfois, il nous arrive d’être contre quelque chose, viscéralement. De ne pas en supporter l’idée, la vue ou même l’évocation. Premier coup de sang : la valise à roulettes.
Depuis 2016, Pierpaolo Piccioli a pris la tête de la Maison, laissant Maria Grazia Chiuri filer chez Dior, la sœur jumelle française. La figure de la Bella Donna – première dame chic, rouge et régnante – sonnait le *la* esthétique de Valentino. Mais, depuis, quoi de neuf ?
Nous sommes tous des Américains. Ou presque. Mr Lauren (Ralph) a gagné 16,14 millions de dollars cette année (salaire + bonus). Mais l’avenue de Clichy, en bas de chez moi, n’est pas Madison Avenue. Ici, les boutiques d’habilleurs de luxe s’appellent Sim.H, Sapiens, Rebecca Story, Jabi et Karilincoln
Difficile d’y échapper si on convoite un poste la tête d’une école ou d’un centre d’art : les commissions sont ces assemblées étranges, dont les membres choisis de manière parfois mystérieuse élisent leur candidat dans un apparent consensus.
Que désire-t-on quand on a envie de mode ? De distinction sociale, de pouvoir érotique ? Peut-être d’air frais tout simplement, d’un ciel nouveau. Changer de vêtements comme on changerait de vie en rêve : voilà certainement l’un des fondements souterrains de ce que l’on peut appeler la pulsion de mode.
Si mode et image – celle qu’on renvoie, qu’on se fait de soi-même et aujourd’hui qu’on publie – sont étroitement liées, leur coïncidence n’a jamais été aussi puissante qu’avec l’avènement des réseaux sociaux. Plus surprenant : les historiens de la mode semblent y retrouver leurs petits.